Guide d’utilisation de Researchgate à l’attention de mes collègues (et des vôtres)

Courte présentation de ResearchGate

ResearchGate, dont je vous propose un petit guide d’utilisation, est un réseau social professionnel consacré à la communauté académique au sens large, c’est-à-dire à ceux qui produisent diverses publications scientifiques. J’ai eu l’occasion de décrire ce site, ses avantages, ses faiblesses dans un article précédent que je vous invite à consulter si vous ne le connaissez pas déjà.

A la suite de discussions dans mon environnement professionnel, il s’avère que tous ne savent pas utiliser cet outil qui permet de :

  • Faire une veille bibliographique quasi-exhaustive.
  • Promouvoir la recherche : sa propre recherche/CV, celle de nos laboratoires d’accueil et trouver des opportunités de faire vivre les projets en cours, d’augmenter la rémanence des projets clôturés, etc.
  • Entretenir un réseau informel pour s’entraider et éventuellement débattre.

Il existe à ma connaissance assez peu d’espaces (sur le web ou IRL) qui permettent tout ceci en même temps. Il existe bien d’autres espaces (autres sites de partage/réseau, colloques, listes de diffusion, etc.) mais ils ne sont pas aussi pratiques que ResearchGate.

Attention, ce site n’est pas la panacée, c’est un site marchand qui a pour objectif de capter le maximum de l’attention de la communauté académique et de monétiser tout ça. Un jour, un système libre tout aussi pratique se mettra en place mais à ma connaissance, ce jour n’est pas encore venu (ceci est une invitation implicite à nous signaler leur existence dans les commentaires…).

En attentant, je vous invite donc à vous inscrire sur le site si ce n’est déjà fait et à l’alimenter et l’utiliser convenablement.

Inscription et réglages

Il faut avouer que ResearchGate est un système plutôt élitiste qui cible principalement les universitaires ou du moins les membres d’institutions qui ont pignon sur rue. Ca se manifeste par la nécessité pour s’inscrire d’utiliser une adresse email professionnelle (ie. sous forme de @inra.fr, @agro-bordeaux.fr, etc.). Si cette institution a déjà été identifiée sur le site (ce qui est le cas pour l’INRA, Bordeaux Sciences Agro et compagnie mais pas pour tout les petits laboratoires locaux ou privés), l’inscription n’est qu’une formalité.

Si vous ne voulez pas utiliser votre adresse email pro notamment parce que vous n’êtes que de passage dans votre institution (étudiant, non titulaire, etc.) et que vous voulez utiliser une adresse plus générique, il va falloir monter patte blanche. Idéalement, faites vous inviter par une connaissance en lui indiquant quelle adresse email utiliser. Normalement, ça fonctionne. Vous pouvez aussi vous inscrire avec une boite email professionnelle transitoire et indiquer ensuite une autre adresse email plus personnelle mais plus durable.

L’idéal pour les petites structures, c’est qu’un représentant de celle-ci fasse le travail en amont de s’inscrire, de valider l’institution par ResearchGate de manière à ce que votre adresse email professionnelle (en @votre-bureau-etude.com) soit intégrée au site et que vos collègues puissent ensuite entrer dans la brèche sans problème. Attention, j’estime pour ma part qu’il faut faire preuve de sincérité, c’est-à-dire que vous vous inscrivez sur ce site pour mettre en avant vos publications, pas seulement pour en récupérer (il y a Sci-Hub et Libgen pour ça) ni pour trouver des prospects (allez plutôt sur LinkedIn où vous êtes les bienvenus).

Personnellement j’estime que quasiment toute publication est bonne à prendre et je regrette que les associations scientifiques locales (ex: société archéologique de Bordeaux, société d’études scientifiques de l’Aude, etc.) ne fassent pas partie de ce site alors qu’elles ont parfois des listes de publications longues comme le bras même si la plupart est sans comité de lecture. Je vous invite à faire la démarche pour vous faire connaitre sur ResearchGate.

Dernière recommandation, une fois l’inscription validée, c’est de faire les bons réglages. ResearchGate était jadis connu pour être à la limite de la légalité en terme de spam/notifications. Par défaut, tout est activé, c’est à vous de faire les réglages nécessaires dans les « notifications settings » pour ne laisser cochées que les options de notification qui vous intéressent. Personnellement, étant « power user » de ResearchGate (ie. qui utilise tout ou presque), j’ai tout activé et je vous assure qu’il n’y a plus autant de notifications qu’auparavant ou du moins, c’est largement gérable au quotidien (1 voire 2 emails par jour).

Niveau visibilité, vous avez la possibilité de vous retrancher derrière un relatif anonymat quand vous consultez des profils et des publications mais à moins d’être dans un laboratoire privé à la pointe de l’innovation (ie. de l’espionnage industriel) ou de confiner à la paranoïa, cet anonymat est contre-productif.

Alimentation du profil

Il est important de bien compléter votre profil pour optimiser votre visibilité et la lisibilité de vos travaux.

CV

Ce que j’appelle CV, c’est bien entendu toute la partie concernant les différents endroits où vous avez travaillé. Les recommandations sont les mêmes que lorsque vous faites un CV générique ou que vous remplissez votre profil LinkedIn (ça m’intéresse moins d’en parler mais c’est tout aussi indispensable professionnellement parlant qu’un profil sur ResearchGate…). Mettez vos activités académiques, expliquez ce que vous y faisiez, etc. A une époque, on pouvait associer des compétences à chaque expérience professionnelle (et chaque publication aussi), c’est pour ça que certains comme moi qui remplissaient consciencieusement leur profil ont des listes de compétences foisonnantes alors que les profils créés plus récemment n’ont pas été encouragés à en mettre autant.

N’oubliez pas de renseigner le petit encart vous décrivant, c’est très pratique pour comprendre ce que vous faites sans avoir à vous le demander directement (ce que les gens font très rarement).

Les compétences et les domaines de recherche servent bien sûr à vous cerner mais servent aussi à vous faire des recommandations d’articles et de questions auxquelles pour pourriez apporter votre concours.

N’hésitez surtout pas à suivre des domaines académiques qui vous intéressent vraiment, pas forcément dans lesquels vous travaillez, ça vous permet  d’y garder un œil et d’égayer votre mur d’actualités.

La page « Institutions »

Il est important de bien identifier les institutions dans lesquelles vous avez travaillé et surtout celle où vous travaillez actuellement. En effet, il existe une page dédiée pour votre institution où sont regroupées toutes les personnes qui en font actuellement partie et où des statistiques de bibliométrie sont indiquées. Malheureusement, trop souvent, des électrons libres ou early birds ont mal renseigné leur institution. Personnellement, j’estime que mon institution, c’est tout simplement celle qui figure sur mon bulletin de paie. Rendons à César ce qui appartient à César… Pour le département, le réflexe à suivre est de regarder ce qu’ont indiqué la majorité des collègues et s’y plier. L’idéal, c’est que le service de communication de l’institution définisse les intitulés à renseigner sur les réseaux sociaux et que tout le monde s’y conforme. Ne serait-ce que pour le choix d’un intitulé en anglais ou en français…

Depuis peu, il y a sur le site, un découpage en équipe qui permet une certaine flexibilité notamment pour la majorité de ceux qui appartiennent à une unité mixte de recherche (UMR) ou une équipe d’accueil (EA), détachée ou pas sur tel ou tel site. Normalement, entre le nom de l’institution, du département et de l’équipe, il y a moyen d’être précis.

Liste de publications

C’est le cœur de ResearchGate, c’est important de bien compléter cette liste. Il y en a de plusieurs types avec les articles, les posters, les exposés oraux, les comptes-rendus de conférence, les chapitres d’ouvrage, etc.

Ne négligez rien, faites votre liste de publication en amont (normalement, vous la tenez déjà à jour quelque part sur votre ordinateur) et vérifiez si elles sont déjà présentes sur le site. Normalement, ResearchGate détecte automatiquement les publications écrites et vous demande spontanément si vous êtes l’auteur de tel ou tel papier. Il y avait jadis pas mal de doublons, c’est à vous ou vos collègues de les identifier et de demander leur fusion (il y a des outils sur la page de chaque article ou, au pire, il suffit de contacter le staff de ResearchGate avec le formulaire de contact, ils répondent et sont réactifs).

Attention au type de publication, il arrive que par négligence, des communications orales ou des comptes-rendus de conférences soient considérées comme des articles écrits. Ca entraine une surestimation de votre production scientifique et des demandes de « tiré à part » de la part de personnes qui veulent en lire le contenu.

Pour les jeunes docteurs, n’hésitez pas un instant à indiquer votre thèse et d’en proposer une épreuve électronique au téléchargement. C’est probablement là que vous aurez la meilleure visibilité au-delà des publications qui en auront découlé. Autant vous dire qu’une thèse en anglais, c’est infiniment plus visible qu’en français… Ne négligez pas non plus les métadonnées de votre thèse (résumé, etc.).

En ce qui concerne les posters et les oraux, je n’ai pas encore tranché. Je ne sais pas si c’est vraiment utile ou si ça n’apporte que du bruit de fond : si les travaux sont publiés, le contenu des posters et oraux font doublon avec les articles/chapitres. J’hésite à indiquer les posters/conférences des travaux non publiés. A tort probablement puisque ces formes de communication scientifique non valorisées sont parfois les seuls témoignages de vos expériences et collaborations passées. Disons qu’à défaut d’avoir fait l’objet de publication sous forme d’article, je préconise de montrer seulement les communications poster/orales les plus marquantes. A débattre…

Gestion de projets

C’est aussi un hot spot de votre profil : ce sur quoi vous travaillez en ce moment ou avez travaillé récemment. C’est un objet collectif qu’il importe de travailler en groupe notamment en impliquant le porteur de projet si ce n’est pas vous. Il faut chiader la présentation et la liste des participants (d’une part pour montrer l’étendue de la collaboration et d’autre part pour ne froisser personne, ce dernier point me semble important). Il faut faire un travail de rédaction en amont et choisir les bons mots-clés dans le titre et le texte du résumé pour que les utilisateurs potentiellement intéressés par votre projet puissent le retrouver dans le moteur de recherche du site.

[Message subliminal] Mon avis personnel pour les étudiants de thèse, c’est qu’ils soient désignés volontaires pour créer et gérer la page de leur projet, même si plusieurs personnes dont le tuteur de thèse et autres chefs de labo sont sur le coup. Ca les met en avant, ce dont ils ont besoin plus que les autres pour leur carrière future.

Outil de veille bibliographique

J’utilise personnellement beaucoup ResearchGate pour faire ma veille bibliographique voici comment :

Partage de publications

ResearchGate est avant tout un système de stockage de métadonnées (descriptions, etc.) et d’épreuves de communications scientifiques. Il y a un moteur de recherche efficace qui permet de retrouver quasiment toutes les publications scientifiques. Il faut savoir que le système est un méta-moteur c’est-à-dire qu’il utilise plusieurs sources d’informations pour abonder ses propres données : Google Scholar, Pubmed, Web of Sciences/Knowledge/ResearcherID, Orcid et tout simplement les entrées manuelles des utilisateurs du site.

Les publications libres sont trouvables automatiquement sur le site et si ce n’est pas le cas, vous pouvez contacter l’ensemble des auteurs en un seul clic pour obtenir une épreuve de la publication en question. Ca fonctionne bien entendu sur les publications dont au moins un auteur est inscrit sur le site et si la publication est numérisée préalablement.

Sachez que vous ne pouvez pas directement publier tous vos articles sur le site, certains ont des droits restreints. Il faut faire attention à ça, vous pouvez savoir ce que vous avez le droit de faire en entrant le DOI de la publication sur ce site. Sachez tout de même que vous avez l’opportunité de stocker vos articles numérisés en privé sur votre compte et de les partager à certains individus, toujours en privé. Ni vu ni connu…

Alertes thématiques

Comme Twitter, vous avez la possibilité de suivre des chercheurs ce qui n’implique pas forcément que vous devez les connaitre ni même qu’ils valident quoique ce soit de leur côté (au contraire de Facebook, LinkedIn, Viadeo, etc.). En retour, vous saurez ce qu’ils publient en temps réel, ce qu’ils recommandent comme lecture, ce qu’ils suivent, etc. (selon les options de confidentialité qu’ils ont sélectionnées…). De même, vous pouvez suivre des publications et vous saurez si de nouveaux détails ou commentaires sont ajoutés. Je pense que ce suivi est intégré dans l’algorithme de suggestions (avec vos compétences, domaines d’études et centres d’intérêt) de manière à ce que des articles proches de vos intérêts vous soient suggérés automatiquement.

J’utilise ResearchGate de cette manière : quand j’ai lu un article intéressant, je follow systématiquement l’article en question ainsi que tous ses auteurs inscrits. Je suis donc tenu en temps réel de toute nouveauté dans les domaines proches de cet article. Proches parce qu’il arrive que des collaborateurs travaillent sur des thèmes un peu différents (c’est le cas par exemple des bioinformaticiens). Régulièrement, je nettoie ma liste de « followed » s’il s’avère qu’ils ne publient plus du tout dans les domaines qui m’intéressent directement. Ce nettoyage est d’autant plus nécessaire qu’il y a une limite de personnes qu’on peut suivre (qui dépendrait du ratio entre les personnes qu’on suit et celles qui nous suivent).

De cette manière, c’est plus efficace et moins stringent que les alertes Pubmed et autres, basées sur les mots-clés.

Système d’entraide

Comme dit en introduction, ResearchGate est aussi un système d’entraide. Il utilise un forum intégré au dispositif où tout un chacun peut poser des questions, techniques pour la plupart du temps, bien que rien n’empêche de poser des questions plus théoriques et de lancer des débats entre experts.

J’utilise assez souvent ce système pour trouver des solutions à mes problèmes ou voir les variantes de protocoles que d’autres laboratoires peuvent proposer. Si vous cherchez une solution sur Google, le moteur de recherche vous amènera le plus souvent sur le forum de questions/réponses de ResearchGate. Ceci vous montre à quel point le système est utilisé. Vous avez l’opportunité de suivre une question et vous serez alertés de toute nouvelle réponse.

Votre participation au système est bien entendue souhaitée, d’abord pour répondre aux autre usagers mais aussi pour poser vos propres questions. Si vous en avez besoin, ne négligez pas l’intitulé de la question, la question elle-même qui doit être le plus détaillée possible pour optimiser les chances d’obtenir une réponse (sinon, il n’y aura pas de retour). Ne négligez pas non plus les mots-clés associés à la question, plus de personnes seront alertées automatiquement de l’existence de votre question.

Limites du système

Le système n’est pas sans défaut. Je passe sur l’aspect commercial du site dont j’ai parlé plus haut et dans mon article précédent.

ResearchGate nous incite à devenir des attention whores, c’est vulgaire mais appelons un chat un chat : plus on utilise ce site et plus on est tenté de maximiser sa e-réputation : en mettant absolument toutes nos publications même redondantes (certains ne suppriment pas leurs doublons voire utilisent les publications d’anonymes pour maximiser leur ResearchGate score), répondent à toutes les questions éventuellement en ajoutant un de leur article pour maximiser sa visibilité, surveillent leur RG Score comme le lait sur le feu, etc.

Ne regardez pas ces scores, ils n’ont aucune validité, aucun intérêt (pensez-vous pouvoir les utiliser pour votre dossier d’avancement ? Certainement non). Ce n’est qu’un élément de diversion. Si vous voulez faire votre bibliométrie, utilisez plutôt d’autres outils plus précis comme ResearcherID ou Google Scholar.

Conclusions

ResearchGate est pour moi un outil pour l’instant incontournable de la communauté scientifique. Utilisé pour l’instant quasi-quotidiennement à titre individuel mais il me parait clair que ce site doit aussi faire l’objet d’une concertation, au moins au niveau de l’équipe de recherche. Il semble (ragots communication personnelle) que de plus en plus de projets de financement nécessitent la création d’un profil ResearchGate pour le porteur de projet de manière à augmenter la visibilité du projet (et de ses financeurs). Il reste à mes yeux la question de l’impact direct, concret de l’augmentation de cette visibilité sur le h index, la carrière personnelle (pour les jeunes surtout), l’obtention de nouveaux financements, etc. Mais je suis persuadé qu’il faille tout de même être un minimum visible sur internet. Donc si vous ne l’êtes pas sur le site de votre institution, essayez de l’être sur les réseaux pro (LinkedIn, ResearchGate, etc.). J’estime aussi que c’est une forme de devoir : ces recherches sont financées par l’argent public et il faut que les citoyens puissent retrouver plus facilement le produit de vos travaux (recherche par mots-clés ou recherche par nom).

Si vous avez des questions supplémentaires, posez les en commentaires ou directement. Je préfère les questions publiques qui apportent des réponses publiques qui profitent à tous ;)

Lutte contre la Flavobactériose par l’optimisation de la désinfection des œufs de truite

Je voudrais initier aujourd’hui une série d’articles qui auront pour but de vous exposer mes travaux dans la recherche scientifique et de rendre le tout intelligible aux visiteurs curieux sans être forcément spécialistes. Pour ce premier billet, je vais vous parler des travaux que nous avons publiés en décembre 2015 sur la flavobactériose. Avant d’en parler, je pose d’abord le contexte de travail.

Passage de la biologie végétale à l’ichtyopathologie

Depuis 2012, j’ai eu l’occasion de changer de thématique de recherche et de passer de la biotechnologie végétale et l’amélioration des qualités du fruit à la microbiologie animale, l’ichtyopathologie (ou étude des maladies des poissons). Étant donné que je me suis très rapidement spécialisé en biologie végétale lors de ma formation initiale et que j’avais alors toujours travaillé sur la laitue, le tabac mais finalement surtout sur la tomate, pour ceux qui me connaissent, cette reconversion semblait assez surprenante pour ne pas dire contre-nature.

Thème apparemment diamétralement opposé mais pas tant que ça : certes je suis « végétaliste » mais surtout biologiste moléculaire et la biologie moléculaire, ça se pratique à peu près de la même manière si on travaille sur la tomate, les virus, les bactéries, l’homme ou le pangolin. J’aurais même tendance à dire que c’est un poil plus compliqué de travailler sur les plantes et qu’extraire des acides nucléiques de truite quand on a extrait de l’ARN de feuille de fraisier, c’est aussi difficile que de se reconvertir en vigile d’une boite dans une bourgade du Massachusetts après avoir fait la guerre du Vietnam : on a tendance à sortir aussitôt l’artillerie lourde au moindre pépin alors qu’en fin de compte, il suffit de faire acte de présence pour être efficace.

Accueilli au département « Nutrition Santé et Filières Agricoles » de Bordeaux Sciences Agro

Logo-Aggro-BordeauxJ’ai donc été accueilli à Gradignan, près de Bordeaux, dans un laboratoire de Bordeaux Sciences Agro, l’école nationale supérieur des sciences agronomiques de Bordeaux Aquitaine, anciennement appelée ENITA, tout simplement l’école d’ingénieurs agronomes de la région. Plus particulièrement dans une équipe du département « Nutrition-Santé et Filières Agricoles » (NSFA) dirigé par Hervé Jacob. Ce département regroupe plusieurs équipes d’enseignants-chercheurs qui travaillent sur des thèmes très variés : les probiotiques utilisables en santé humaine comme en agriculture (élevage comme cultures végétales !), la nutrition humaine, la qualité de la viande et le bien-être animal au sens large (juste avant qu’il ne passe à la casserole, entendons nous bien…). Malheureusement, même s’il y a un espace consacré sur le site de l’école, le département NSFA n’a pas de site internet digne de ce nom qui permette d’englober d’un seul regard l’ensemble des activités de recherche. C’est bien dommage.

J’ai intégré la petite équipe dirigée par Michel Le Hénaff, maître de conférence spécialisé dans la microbiologie, et composée alors de Sandrine Papillon, ingénieur d’études spécialisée en chimie, et d’Alexandra Grasteau qui était doctorante (thèse soutenue en décembre 2015). Ma mission était alors d’intégrer un projet sur la lutte contre la flavobactériose.

Le problème de la flavobactériose dans les élevages de truites (et autres salmonidés)

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Flavobacterium psychrophilum au microscope photonique (coloration Gram)

Qu’est-ce que la flavobactériose ? C’est le nom générique d’une maladie bactérienne qui touche certains poissons, d’élevage ou sauvages. Le terme manque d’ailleurs de précision puisqu’il y a plusieurs espèces de flavobactéries qui touchent des gammes différentes de poissons sous la poussée de stress et conditions environnementales différentes. Je ne me suis occupé que d’une seule de ces espèces : Flavobacterium psychrophilum. « Flavo » signifie « jaune » (parce que ces bactéries synthétisent un pigment jaune, la riboflavine, facilement repérable quand on les met en culture) ; « psychro » signifie « froid » et « philum » signifie « qui aime ». La bactérie jaune qui aime le froid. Cette bactérie découverte au milieu du XXe siècle s’avère être à l’origine de deux maladies affectant principalement les salmonidés (saumons, truites, ombles, etc.) :

BCWD causant une ulcération sur le flan d'un ayu (Plecoglossus altivelis)
BCWD causant une ulcération sur le flan d’un ayu (Plecoglossus altivelis)

la première est la maladie des eaux froides (Bacterial Cold Water Disease, BCWD) qui affecte les poissons adultes et induit l’apparition d’ulcérations cutanées qui sont mortelles ou du moins rendent le poisson invendable. Cette maladie a commencé à poser problème en Amérique du Nord dans les années 1980, chez les salmonidés sauvages dont la progéniture (les œufs) était récupérée pour être exploitée dans la filière de l’alimentation ou pour le repeuplement de cours d’eau. Du fait de l’essor de la pisciculture et de la mondialisation (qui a entrainé l’exportation d’œufs et de poissons de l’autre côté de l’Atlantique et du Pacifique) la bactérie s’est invitée sur le Vieux Continent et dans ces pays asiatiques au climat tempéré où ces poissons sont consommés. Là, en Europe, une nouvelle forme de flavobactériose s’est exprimée dans les élevages de truites arc-en-ciel (et de truites fario) : le syndrome de l’alevin de la truite arc-en-ciel (Rainbow Trout Fry Syndrome, RTFS). Comme son nom l’indique cette maladie touche plutôt les jeunes poissons, les alevins. La maladie infecte de manière systémique ce jeune poisson dont les défenses immunitaires sont trop faibles pour être efficaces ; malade, celui-ci arrête de s’alimenter et meurt. Si le problème n’est pas pris à bras le corps par le pisciculteur, les pertes peuvent être importantes (on parle de cas où 90 % du banc de poissons est affecté).

Que ce soit la BCWD ou le RTFS, une seule espèce bactérienne responsable : Flavobacterium psychrophilum. Cette dernière est une espèce que l’on retrouve dans les cours d’eau avec d’autres espèces du même genre. Opportuniste, il semble qu’elle ne devienne problématique que lorsque des facteurs de stress se mettent en place chez le poisson : stress de manipulation, blessures, densité d’élevage trop importante, qualité d’eau de bassin médiocre ou variations de température, etc. Comme son nom l’indique, les crises de flavobactériose ont plutôt lieu quand les températures sont basses (avec un optimum autour de 15 °C).

Le soin consistant à donner un antibiotique mélangé à l’alimentation (le florfénicol, analogue du chloramphénicol plus connu des biologistes moléculaires), il est difficile pour les pisciculteurs de soigner les poissons malades puisque ces derniers ne s’alimentent plus. L’alimentation supplémentée ne sert alors qu’à protéger le reste du banc contre une infection provenant des poissons voisins ou des eaux de bassin. Cette solution n’est pas la panacée : tout d’abord elle est chère pour des animaux qui ne le sont pas mais surtout, l’usage des antibiotiques est controversé. Ces derniers doivent être utilisés le moins possible pour nos animaux comme pour nos rhumes, une sur-utilisation entrainera l’apparition de souches bactériennes antibiorésistantes et ce sera d’autant plus gênant que F. psychrophilum n’est sensible qu’au seul florfénicol. C’est le dernier carton de munitions, il vaut mieux ajuster le tir comme un sniper que faire un tir de barrage à la sulfateuse…

Le talent des pisciculteurs pour sauver leurs exploitations de ce fléau est de combiner tout un arsenal de mesures de prévention : mesures d’hygiène, nettoyages de bassins, désinfection des eaux en amont, traitements biocides prophylactiques réguliers. Les consommateurs n’ont pas idée du trésor de technicité qu’il faut développer pour obtenir cette truite-portion ou ce filet de saumon fumé qu’ils prennent nonchalamment à leur rayon poissonnerie préféré.

Alevins de truite
Alevins de truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss)

Mais la partie n’est pas encore gagnée, loin de là : la maladie progresse malgré les mesures de prévention déployées. Celle-ci n’est pas encore suffisamment connue : quels sont les réservoirs (c’est-à-dire les espèces ou compartiments écologiques où la bactérie demeure avant d’infecter les poissons) ? Quelle est la dynamique d’infection (cette question en sous-entendant deux autres que sont : quels sont les moyens de défense des poissons et comment sont-ils contournés ?) Quels moyens de prévention spécifique peut-on déployer (vaccins ? traitements biocides optimisés ?) Y a-t-il une marge d’optimisation pour les moyens de prévention non-spécifiques à F. psychrophilum ? Ou pour les pratiques d’élevage, l’utilisation de produits prébiotiques ou probiotiques ? Ajoutons à ça qu’il y a besoin d’outils de détection, de quantification de la bactérie, que ce soit pour la recherche et le développement des stratégies de prévention ou tout simplement assurer une traçabilité de leur efficience une fois qu’elles sont mises en place sur le terrain. Il y a déjà plein de méthodes de suivi de la flavobactériose mais il y a toujours une marge d’optimisation et/ou l’émergence de besoins spécifiques auxquels les outils existants ne permettent pas toujours de répondre.

C’est donc pour répondre à certaines de ces questions qu’un projet de recherche a été concocté. En partie financé par des fonds européens (le Fonds Européen de DEveloppement Régional, FEDER), la Région Aquitaine et le Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (CIPA), il a impliqué l’équipe de Michel Le Hénaff, le laboratoire départemental des Pyrénées et des Landes  (LDPL, plus connu jadis comme le Laboratoire Départementale des Landes, LD40) représenté par Patrick Daniel et le Groupement de Défense Sanitaire Aquacole d’Aquitaine (GDSAA, pas de site internet… seriously ? Même pas un compte Twitter pour communiquer ?) représenté par Valérie Chesneau. Et bien entendu, un panel de pisciculteurs de la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes.

Réduire la transmission verticale de la Flavobactériose par l’optimisation des techniques de désinfection des œufs

C’est ce volet du projet « Flavo » que je vais aborder particulièrement dans ce billet déjà bien entamé. Il y en a eu d’autres mais celui-ci a fait l’objet d’une publication dans la revue Journal of Aquaculture Research and Development :

« Evaluation of Glutaraldehyde, Chloramine-T, Bronopol, Incimaxx Aquatic® and Hydrogen Peroxide as Biocides against Flavobacterium psychrophilum for Sanitization of Rainbow Trout Eyed Eggs » Auteurs : Alexandra Grasteau, Thomas Guiraud, Patrick Daniel, Ségolène Calvez, Valérie Chesneau et Michel Le Hénaff. Le PDF peut être téléchargé .

Comme le veut l’usage, cet article est donc rédigé en anglais avec tous les détails techniques nécessaires pour reproduire les expériences en question et pour convaincre les lecteurs des conclusions que nous proposons. Rappelez vous que mon but ici n’est pas de vous en restituer le détail et encore moins de vous le traduire. Les spécialistes du domaine iront directement lire l’article et y trouveront tout ce dont ils ont besoin. Moi, ici, je veux vous en tirer les grandes lignes, souligner ce que je pense être les apports de notre travail et d’éventuelles perspectives. Je voudrais aussi préciser que je ne me fais en aucun cas le porte-parole de mes co-auteurs ni des institutions pré-citées. Considérez tout ceci comme une discussion autour d’un verre ou d’un café lors de laquelle vous me demanderiez ce sur quoi j’ai travaillé ces dernières années ou, en l’occurrence, sur quoi porte ma dernière publication.

Structure d'une population de F. psychrophilum d'origine chilienne déterminée par MLST (Multi-Locus Sequence Typing). La taille des points noirs correspond au nombre d'isolats du même type, les traits reliant ces points représentent la parenté directe entre ces types d'isolats et les zones grisées regroupent les isolats de F. psychrophilum directement ou indirectement apparentés et démontrent le caractère épidémique du RTFS/BCWD. Ce type de structure a été démontré pour d'autres populations de F. psychrophilum dans le monde. Image tirée de l'article Avendaño-Herrera et al., Veterinary Microbiology, 2014
Structure d’une population de F. psychrophilum d’origine chilienne déterminée par MLST (Multi-Locus Sequence Typing). La taille des points noirs correspond au nombre d’isolats du même type, les traits reliant ces points représentent la parenté directe entre ces types d’isolats et les zones grisées regroupent les isolats de F. psychrophilum directement ou indirectement apparentés et démontrent le caractère épidémique du RTFS/BCWD. Ce type de structure a été démontré pour d’autres populations de F. psychrophilum dans le monde.
Image tirée de l’article de Avendaño-Herrera et al., Veterinary Microbiology, 2014

Revenons à la flavobactériose. Cette maladie est transmise de deux manières : la transmission horizontale c’est-à-dire par contact d’un individu à un autre, directement ou en contaminant l’environnement notamment l’eau de bassin, les sédiments, etc. (par analogie avec les humains, ce peut être une bise, un éternuement, une poignée de porte contaminée, etc.) et la transmission verticale c’est-à-dire la transmission d’un géniteur à sa progéniture (par comparaison, chez l’homme, ça correspondrait à la transmission du HIV de la mère à l’enfant). La propagation internationale de cette maladie a pu se réaliser à cause de la capacité de F. psychrophilum à se transmettre de manière verticale : Prélevés sur un lieu A, les œufs d’un géniteur infecté ont été utilisés pour l’élevage qui s’est réalisé en un lieu B, contaminant les autres poissons présents qui ont eux même donné une descendance infectée transférée à un lieu C, etc. La mobilité des poissons (naturelle ou via l’activité humaine) et l’alternance de la transmission verticale et horizontale ont permis la propagation de la maladie dans l’ensemble des pays producteurs de salmonidés. L’étude de l’évolution de certains gènes de Flavobacterium psychrophilum (par une stratégie de Multi Locus Sequence Typing, MLST, parfois combinée à celle de Pulsed-Field Gel Electrophoresis, PFGE, qui sont deux techniques qui permettent de déterminer une sorte de code-barre génétique pour chaque individu étudié et par conséquent d’avoir un aperçu de la structure génétique d’une population. Les souches évolutivement proches partageant tout ou partie de leur profil génétique tel qu’il est déterminé par MLST ou par PFGE. Je développe à la demande dans les commentaires !) semble démontrer que F. psychrophilum s’est répandue de cette manière, de proche en proche, de géniteur à la progéniture, se partageant une souche qui évolue petit à petit. D’autres études sur la transmission verticale (du géniteur à l’œuf) montrent la réalité de cette hypothèse : la femelle adulte est porteuse saine (ses défenses immunitaires lui permettent d’y survivre) et les bactéries présentes dans sa cavité abdominale sont transmises aux ovules pendant la longue phase qui précède la ponte. Les bactéries survivent jusqu’à l’éclosion et infectent la jeune larve (le petit poisson obtenu après éclosion est appelé larve. Plus tard la larve deviendra alevin puis truitelle et truite adulte), l’épidémie se déclenchant ensuite localement lorsque les conditions deviennent favorables.

La flavobactériose n’étant pas la seule maladie transmise par les œufs, les pisciculteurs tentent déjà de prévenir la transmission verticale de diverses maladies, ceci par le biais d’étapes de désinfection des œufs et d’élimination manuelle des œufs affectés (qui peuvent par exemple changer de couleur quand ils meurent). Or ces mesures de prévention ne sont pas toutes adaptées à la flavobactériose. Tout d’abord, la présence de F. psychrophilum dans les œufs ne leur est pas nuisible : ils survivent et ne présentent pas de symptôme particulier qui permette de les repérer et les éliminer manuellement. Ensuite, les traitements désinfectants utilisés de nos jours ont pour la plupart été développés pour prévenir d’autres maladies (bactériennes, fongiques, virales ?). Celui qui est le plus utilisé est basé sur les propriétés désinfectantes de la povidone iodée ou des molécules analogues. Vous connaissez sûrement cette molécule puisque ce n’est rien d’autre que de la bétadine qui est en quelque sorte un grosse molécule polymère sur laquelle sont liées des molécules d’iode qui portent le pouvoir désinfectant et qui sont relarguées petit à petit dans le milieu ; sans ce système, le pouvoir désinfectant de l’iode serait trop fugace et instable. Malheureusement, les traitements actuels (en terme de concentration et en terme de temps de contact) ne sont pas suffisamment agressifs pour affecter durablement Flavobacterium psychrophilum et prévenir sa transmission à la progéniture salmonidée.

Durant nos travaux, nous avons porté notre attention sur d’autres molécules désinfectantes, une douzaine parmi les produits potentiellement utilisables par les pisciculteurs. Parmi eux, les plus marquants sont le florfénicol (l’antibiotique utilisé pour soigner les poissons) ou encore le chlorure de sodium (le sel de table, toxique pour F. psychrophilum… et pour la truite) mais surtout cinq molécules candidates comme le bronopol, le glutaraldéhyde, le peroxyde d’hydrogène, l’acide peracétique et la chloramine. Le choix s’est finalement porté sur ces molécules parce que leurs propriétés anti-flavobactériennes étaient mal cernées et/ou parce qu’elles étaient prometteuses (le peroxyde d’hydrogène et l’acide peracétique sont inoffensifs pour l’environnement, le glutaraldéhyde qui lui est potentiellement très toxique pour la bactérie).

Une des méthodes couramment utilisées pour déterminer le pouvoir désinfectant d’une molécule est la détermination de sa Concentration Minimale d’Inhibition (CMI) : ça consiste à ajouter une molécule candidate en concentration croissante dans une solution bactérienne et observer sa croissance. Si la culture bactérienne continue à croitre à telle concentration de désinfectant, c’est qu’elle n’est pas suffisamment concentrée ; si la culture bactérienne ne croit plus, la concentration de désinfectant est suffisante. La concentration de désinfectant la plus basse ayant le pouvoir de bloquer la croissance bactérienne détermine la CMI. Joli sur le papier mais cette méthode implique un temps de contact long, plusieurs jours, qui ne correspond pas à la réalité des traitements désinfectants opérés par les pisciculteurs (quelques minutes à une heure, les œufs ayant besoin d’un apport d’oxygène (O2), ils ne peuvent pas rester trop longtemps sans renouvellement de l’eau sans s’asphyxier). Certes, si un désinfectant est suffisamment concentré pour inhiber la croissance bactérienne sur plusieurs jours, on se doute que la population bactérienne est bel et bien détruite avant que la molécule désinfectante ne soit naturellement dégradée. Mais du fait de l’absence d’information concernant la rémanence du désinfectant et le temps de contact nécessaire pour détruire la population bactérienne, nous avons préféré proposer une autre méthode pour estimer le pouvoir anti-flavobactérien de notre panel de produits désinfectants.

Pour déterminer ce pouvoir bactéricide, nous avons utilisé une méthode basée sur les barèmes de stérilisation en génie industriel : on expose une population de F. psychrophilum à un désinfectant à une concentration donnée et on suit l’évolution de cette population au cours d’un temps limité et connu (jusqu’à 40 min en ce qui nous concerne, la fourchette haute des durées de désinfection que s’autorisent les pisciculteurs). Cette expérience nous donne pour chaque concentration le temps nécessaire pour décimer la population (réduire une population au 1/10ème de ce qu’elle était initialement), on appelle ça le temps de réduction décimale. Ceci nous permet de proposer un jeu de correspondances entre durée de traitement et concentration de désinfectant pour obtenir le même degré de destruction. On pourrait naturellement arguer que la décimation d’une population bactérienne est loin d’être une désinfection totale mais les chiffres que nous avons obtenus semblent indiquer que les intensités de traitements utilisées jusqu’alors en pisciculture étaient en deçà de ce qui est nécessaire pour ne serait-ce que décimer les populations de F. psychrophilum. Avant de déterminer les intensités de traitement nécessaires pour réduire une population de F. psychrophilum d’un facteur 100 ou 1000, il nous a paru plus pertinent de tester les différentes intensités de traitements sur la viabilité des œufs de truite.

Pour cela, nous avons fait une expérience très simple : pour chacun des désinfectants d’intérêt, nous nous sommes calés sur une durée de traitement de 20 minutes correspondant à ce qui est pratiqué sur le terrain et avons choisi trois concentrations différentes : une suboptimale proche de celle utilisée actuellement dans la filière, une concentration qui correspond aux intensités de traitement que nous avons précédemment déterminées et une concentration exagérément haute que nous pensions délétère pour les œufs de truite. Après traitement, nous avons laissé les œufs se développer et, après éclosion, attendu que les larves deviennent alevins et commencent à se nourrir. Le but du jeu étant de pouvoir observer d’éventuelles malformations.

Le résultat, c’est que les œufs de truite sont incroyablement résistants : ils ont bien entendu survécu aux traitements les plus faibles (déjà connus pour leur innocuité envers les œufs puisque utilisés dans la profession), aux nouvelles conditions de traitements mais aussi aux intensités de traitement les plus violentes. A un désinfectant près puisque les plus traitements les plus forts réalisés avec le glutaraldéhyde avaient quand même un impact négatif ; résultat à pondérer puisque je suspecte que l’efficacité du rinçage post-désinfection améliore la survie des œufs. S’il fallait perdre 10 % des œufs grâce à un traitement violent mais ponctuel pour réduire les traitements prophylactiques subséquents et la survenue de crises de flavobactériose, le jeu pourrait en valoir la chandelle, non ? Mais ça reste encore à prouver, ce n’est qu’une opinion personnelle. Toujours est-il que les autres désinfectants même très concentrés n’affectent pas la survie des œufs et n’entrainent ni malformation ni variation de poids (ce qui n’est pas indiqué dans l’article mais qui a quand été vérifié). Ce qui en soit est intéressant pour la profession qui sait maintenant qu’elle bénéficie d’une plus grande marge de manœuvre (technique à défaut d’être administrative…) pour ces traitements de désinfection avec notamment des substances inoffensives pour l’environnement comme le peroxyde d’hydrogène ou l’acide peracétique.

Les réalisations moins évidentes de ces travaux mais non moins intéressantes

Si les résultats principaux sont la mise au point de traitements anti-flavobactériens plus efficaces et inoffensifs pour les œufs et alevins subséquents, je voudrais maintenant mettre en avant trois points de ces recherches que je trouve intéressants.

  • Le plus trivial c’est la réalisation de paniers d’incubation compartimentés. Ils n’ont pas été achetés quelque part mais bel et bien imaginés et réalisés par Michel Le Hénaff et Alain Rives de Bordeaux Sciences Agro. Basés sur les dimensions d’un modèle utilisé en pisciculture, ils assurent un débit optimal et peuvent contenir 200 œufs/larves dans chaque compartiment sachant que chaque panier d’incubation en contient six. Ce dispositif très pratique nous a permis de tester un nombre optimal de répétitions sur un espace réduit et surtout dans des conditions similaires : on a obtenu une meilleure reproductibilité sur une expérimentation en ferme aquacole sans occuper un espace excessif dans cette dite ferme. Ce qui n’est pas un vain mot quand on considère que les fermes piscicoles participantes l’ont fait bénévolement et sur la base du volontariat. Ce serait dommage qu’un tel dispositif ne profite pas au plus grand nombre sur d’autres types d’expérimentations.
  • L’autre réalisation, c’est le test de viabilité par EMA-qPCR que nous avons mis au point pour suivre la survie de Flavobacterium psychrophilum exposée aux divers traitements biocides. Nous n’avons pas inventé la technique, loin de là, elle date au moins de 2006, mais la mise au point était ardue et je suis d’autant mieux placé pour en parler que c’est moi qui l’ai réalisée ainsi que les tests qui ont suivi. Cette technique fait appel au monoazide d’éthidium (EMA). Cette molécule est ce qu’on appelle un intercalant qui se fixe à l’ADN. Activé par une forte intensité lumineuse, il se fixe définitivement à l’ADN qu’il clive au passage. Si on combine cette propriété au fait que cette molécule ne pénètre pas dans les cellules saines, on peut l’utiliser pour distinguer les cellules mortes des cellules vivantes : si la cellule est vivante, l’EMA ne rentre pas dans la cellule, ne se fixe à rien et sa photo-activation n’a aucun impact, l’ADN de la cellule vivante demeure détectable une fois qu’on l’a extrait. Si la cellule est morte ou mourante, l’EMA rentre dans la cellule, se fixe à l’ADN et la photo-activation entraine la dégradation de l’ADN qu’on ne peut plus détecter par la suite. Nous avons utilisé les techniques bien connues de PCR qui permettent de détecter spécifiquement et de quantifier l’ADN de F. psychrophilum. On nous a reproché de ne pas avoir utilisé une méthode de quantification classique qui consiste à mettre les bactéries en culture et de les compter. D’autant plus que la technique sophistiquée que nous avons utilisée est plus chère. C’est un débat vieux de quinze ans désormais, les techniques d’énumération sont robustes et peu chères et, même si je suis biologiste moléculaire et plutôt enclin à utiliser des techniques toujours plus innovantes, je suis très sensible à ce genre d’argument. Mais concrètement, une fois la mise au point réalisée, cette technique d’EMA-qPCR permet de manipuler simultanément un grand nombre de petits échantillons dans les mêmes conditions et d’avoir les résultats pour un désinfectant dans la journée voire en une grosse demi-journée si on est rôdé. On peut potentiellement adapter le protocole pour quantifier la viabilité dans des cultures un peu particulières comme les biofilms dans lesquels la proportion de bactéries cultivables/non-cultivables n’est pas forcément idéale pour les techniques classiques d’énumération. Cette technique me semble prometteuse, le seul point noir est le besoin de mise au point spécifique à chaque espèce bactérienne testée. Mise au point déjà réalisée pour F. psychrophilum
  • Le dernier point intéressant de ces travaux outre les apports pour la filière piscicole, c’est l’utilisation de ces fameux barèmes de stérilisation, la détermination de ces temps de réduction décimale. C’est utilisé dans le milieu industriel pour la mise au point de méthodes de stérilisation par la chaleur par exemple. Ou pour l’enzymologie, la préservation des qualités nutritionnelles de produits alimentaires pendant leur transformation. Quelque chose de finalement assez exotique dans le milieu de l’ichtyopathologie : un article de revue est récemment sorti sur les diverses techniques et marges d’optimisation des techniques de désinfection des œufs et il n’en ressort pas que cette méthode d’objectivation des propriétés désinfectantes d’un produit soit particulièrement utilisée ni même connue. Au delà de ce jeu de correspondances Durée de traitement/Concentration de biocide utilisable pour les pisciculteurs, ce système nous donne accès à une autre valeur plutôt abstraite de prime abord mais non dénuée d’intérêt : la valeur Z aussi appelée paramètre de thermorésistance caractéristique d’un micro-organisme. Dans notre cas, on pourrait appeler cette valeur le paramètre de chimiorésistance caractéristique d’un micro-organisme (ou on pourrait continuer à l’appeler valeur Z, hein ?). Concrètement, cette valeur correspond à l’augmentation de concentration nécessaire pour réduire la durée d’exposition de 90 % ou pour être 10 fois plus efficace dans le pouvoir désinfectant. Exemple fictif, si on a une valeur Z de 100 g/L pour de la poudre de perlimpinpin qui détruit 90 % d’une suspension de levure en 40 min en l’utilisant à 200 g/L, ça veut dire que si on augmente cette concentration de 100 g/L (la valeur Z) en passant à 300 g/L, on détruit 90 % des levures en 4 min au lieu de 40 min ou on détruit 99 % des levures en 40 min au lieu de 90 %. A l’inverse, si on réduit la concentration de la poudre de perlimpinpin à 100 g/L, on sait qu’il va falloir 400 min (~7  h) pour éliminer 90 % des levures ou qu’en 40 min, on n’en aura éliminé que 9 %. Ce paramètre Z étant spécifique d’un biocide et d’un micro-organisme, il peut aussi être exploité de deux manières : pour un micro-organisme donné, il permet de comparer le pouvoir désinfectant de différentes molécules. Ainsi, dans l’article, on montre que l’Incimaxx (l’acide peracétique) est beaucoup plus agressif que le peroxyde d’hydrogène alors qu’ils fonctionnent tous les deux de la même manière sur la bactérie. Le corolaire, c’est que ça veut aussi dire que si on se plante un peu dans la confection de la solution de peroxyde d’hydrogène, ça aura moins d’impact qu’en manipulant de l’Incimaxx.  L’autre utilisation de cette donnée, c’est plutôt pour la recherche : pour une molécule désinfectante donnée, on peut comparer la chimiorésistance de différents micro-organismes voire même plusieurs souches de la même espèce (par exemple une souche de F. psychrophilum isolée sur du saumon royal, une souche isolée sur de l’ayu, une autre sur de la truite arc-en-ciel, etc). Ça nous permettrait de phénotyper ces souches, c’est-à-dire décrire les caractéristiques spécifiques d’une souche. Comme pour le typage génétique (le génotypage) dont j’ai parlé plus haut (MLST/PFGE), ce genre d’informations sert à mieux comprendre l’évolution d’un organisme et son adaptation à son environnement et son hôte. Mieux comprendre le pathogène pour mieux lutter contre lui. Et tout ça, ces « barèmes de stérilisation », ça peut être utile pour d’autres maladies que la flavobactériose des poissons mais peut aussi être utilisé pour la santé humaine, l’agro-alimentaire, l’œnologie, les herbicides, etc. Voire toute étude visant à caractériser l’impact d’un facteur/traitement sur une population (ex: impact de l’installation d’un logiciel sur un parc informatique sur la prévalence de virus/spywares, comparaison de l’impact de campagnes de prévention sur la prévalence de fumeurs ou d’accidents de la route, etc.). On sort de mon domaine d’expertise, je suppose que des méthodes d’objectivation du même genre sont utilisées d’une manière ou d’une autre…

Concluons sur ce billet qui commence à être plus long que l’article originel. J’espère que j’ai atteint les objectifs principaux que je me suis fixé : raconter mon boulot à mon entourage plus ou moins proches (famille, amis, anciens collègues ou contacts divers) d’une manière suffisamment précise mais accessible au risque de produire un texte assez touffu mais sur lequel on peut revenir à loisir, visibiliser nos recherches (c’est-à-dire à la fois expliciter le contenu de mon CV et exposer les travaux de cette équipe de Bordeaux Sciences Agro) et porter un éclairage peut-être nouveau sur certains aspects de la pisciculture, ce à quoi les éleveurs peuvent être confrontés et comment la recherche peut répondre à certains de leurs besoins. Je voudrais préciser que ces travaux sont bel et bien de la recherche appliquée, ce sont des expériences préliminaires et non pas des pratiques industrielles du genre inonder les cours d’eau de France et de Navarre avec des hectolitres de glutaraldéhyde… Je précise une fois de plus que cet article n’est pas un publireportage de la filière aquacole ni même de Bordeaux Sciences Agro, c’est juste moi, Thomas Guiraud, qui devise sur des travaux de recherche déjà publiés.

A l’avenir, je souhaiterais faire le même type d’article sur mes précédents travaux (de thèse, de post-doc) avec une limitation, c’est que je ne peux pas aborder avec précision les travaux non publiés (et il y en a pas mal de 2005 à 2012). Je verrais le moment venu. Concernant la flavobactériose, le projet en question était plus large, il y a eu d’autres résultats qui sont en cours de valorisation ou qui ont servi à d’autres projets en cours. J’en parlerai sur le blog mais je ne peux pas aller plus vite que la musique…

PS : les images viendront petit à petit pour égayer ce pavé :3

Mon avis sur Researchgate

logo de researchgateAujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais parler boulot. Un peu. Voici mon avis sur Researchgate (mon profil), un réseau social professionnel pour les scientifiques.

Comme tous les chômeurs et les travailleurs précaires le savent (intuitivement ou grâce à diverses formations), pour trouver sa pitance de nos jours, il vaut mieux soigner son réseau professionnel : pour être visibles aux yeux d’éventuels employeurs ou tout simplement avoir accès au marché caché de l’emploi (les offres qui ne passent pas par une annonce). C’est pour profiter de ces besoins qu’on été créés les fameux réseaux sociaux dits professionnels que sont LinkedIn (mon profil) et Viadeo (mon profil). Le premier étant plutôt international et le second franco-français.

Dans le domaine de la science (en biologie mais je me doute que ce doit être la même salade pour les autres sciences), l’établissement d’un réseau professionnel est vital et pas seulement pour les précaires : même s’il y a indéniablement une concurrence entre laboratoires (pas seulement internationale, pas seulement nationale mais parfois aussi au sein d’une même institution voire d’un même bâtiment), la recherche est basée sur l’échange d’informations (échanges de trouvailles pour qu’untel n’ait pas à refaire une recherche qui a déjà été faite et pour enrichir le corpus de connaissances), échanges de compétences (pour venir à l’aide d’un collègue dans la difficulté mais surtout pour mutualiser les moyens, partageant ainsi les tâches d’un gros projet qu’un chercheur isolé ne pourrait pas mener tout seul).

C’est tellement vital pour un laboratoire que parmi les critères d’embauche pour des postes fixes, le réseau que s’est constitué le candidat pendant sa précédente carrière est primordial. Je développe.

Ce qu’on appelle la fuite des cerveaux pour le commun des mortels est en partie un abus de langage dans le domaine scientifique : s’il y a effectivement des gens qui partent à l’étranger et qui n’en reviennent pas, pour les autres, il faut plutôt voir cette courte carrière à l’étranger comme une sorte de compagnonnage. On a beau avoir un BAC+8 et le titre de docteur, être spécialisé dans un domaine très pointu, le jeune docteur doit encore faire ses preuves pour être considéré en tant que tel. Parce qu’il ne maitrise pas forcément à fond tous les aspects des techniques qu’il a utilisées pendant ses travaux de thèse, parce qu’il est loin de maitriser le domaine de la biologie pour lequel il a pourtant été diplômé (c’est le travail de toute une vie ou au moins d’une décennie) mais peut-être aussi parce qu’il n’a eu le « déclic » pour la recherche que tardivement (pendant ces 8 années d’études, on est longtemps un étudiant, un récipiendaire de connaissances, les 3 dernières années sont l’occasion de prendre du recul pour exploiter ses connaissances et ses acquis en méthode de travail pour devenir un producteur de connaissances, professionnel qui plus est. Tout le monde n’arrive pas à prendre ce recul au cours de ces 3 années, à acquérir la confiance en soi nécessaire. Certains n’y arrivent jamais même avec le titre de docteur en main). La période dite postdoctorale (postdoc) est donc l’occasion pour le jeune docteur de confirmer sa vocation ou d’en changer. Mais pas seulement. Ce qui titille l’employeur, qui appâte le jury de concours de la fonction publique, ce ne sont pas seulement les connaissances et compétences acquises mais surtout le réseau professionnel que le jeune docteur a pu constituer : des chercheurs devenant ainsi plus facilement accessibles pouvant proposer nouvelles compétences, nouvelles connaissances, matériel autrement inaccessible, meilleure visibilité, accès à d’autres réseaux, etc. Une nouvelle recrue enrichit ainsi son laboratoire d’accueil du réseau de relations qu’il a constitué auparavant (et qui dépasse souvent le cadre scientifique soit dit en passant).

Le scientifique se sert traditionnellement des congrès et divers séminaires pour réseauter : on assiste à des conférences présentant les travaux d’untel, on discute avec lui de ses travaux cacahuètes et whisky-coca à la main et on s’envoie ensuite des emails pour planifier une réunion pour le futur projet commun, etc. Complémentairement à cet espace de rencontres, il y a donc l’utilisation de réseaux sociaux professionnels qui se sont développés ces dernières années (en réaction à Facebook réservé à la sphère privée ?). Je parlais plus haut de Viadeo, le réseau français qui est parfois très actif selon le domaine concerné : je n’y ai que quelques collègues qui s’y sont perdus et dont les profils végètent à l’instar du mien alors que d’autres qui travaillent par exemple dans le secteur Marketing reçoivent des offres de chasseurs de tête plusieurs fois par mois. Je pense que ce doit être « The Place To Be » quand on bosse dans le tertiaire. LinkedIn a une vocation plus internationale et c’est probablement pour ça que j’ai pu retrouver là-bas bon nombre de mes collègues et anciens collègues. Malheureusement, ces sites partagent les mêmes défauts : ils sont encore trop généralistes, trop payants, ont un système de liste de contacts old-school (cf. Facebook) au lieu de liste de followers qui n’engagent à rien (cf. Twitter ou Diaspora*), sont pourris de diverses sortes de spam (soit par emails, soit des sujets de discussions bidons pour attirer le chaland sur un blog ou autre). Il n’y a finalement pas tant d’intérêt que ça à s’y maintenir au-delà d’un profil qui fait office de CV.

Researchgate propose autre chose, je vais essayer de détailler ce que j’ai apprécié (ou non)  :

Liste de contacts flexible : Comme sur Twitter ou Diaspora*, on se contente de suivre nos contacts préférés. Nos collègues et autres connaissances mais aussi les chercheurs avec qui on n’a pas eu de contact mais dont on veut suivre la production scientifique et/ou le parcours professionnel. Pas besoin d’avoir une confirmation de l’autre. On peut aussi bloquer qui on veut mais dans la mesure où il n’y a pas d’informations confidentielles qui sont diffusées, je trouve ça un peu puéril…

Populaire parmi les scientifiques : Ca parait un peu vain comme argument mais on est bien d’accord que la force d’un réseau social ce n’est pas forcément les atouts techniques qui sont proposés mais l’ampleur et la nature de la communauté qui le peuple. On a bien l’exemple du réseau Diaspora* qui a beaucoup pour plaire mais qui est dépeuplé donc inutilisable pour un réseau optimal. Personnellement, c’est sur Researchgate que j’ai retrouvé le plus de collègues. La grande majorité de ceux qui n’y sont pas ne sont pas non plus sur les autres réseaux professionnels (probablement parce qu’ils sont allergiques au concept).

Accès à la bibliographie : En fait, le squelette de ce réseau social n’est pas la communauté scientifique mais la communauté des auteurs de publications scientifiques. Ces publications forment donc l’architecture du système. Pour chaque profil, nous avons accès aux publications scientifiques (et conférences) relatives à cette personne et à côté de ça, il y a bien sûr un moteur de recherche pour trouver les publications d’intérêt. Pour les revues qui fonctionnent en Opendata, on a la plupart du temps directement accès au fichier PDF (mais on peut l’avoir ailleurs, comme depuis Pubmed ou le site de l’éditeur, ce n’est pas un exploit) et pour les revues qui ne sont pas en Opendata, les auteurs peuvent prendre l’initiative (illégaaaaale !!!) de mettre quand même les articles en téléchargement. Sinon, plus intéressant encore, on peut demander en un clic (et sans blabla) aux auteurs de nous envoyer directement le pdf en message privé. Les institutions publiques comme l’INRA et le CNRS proposent à leurs employés l’accès à plein d’abonnements mais ça ne concerne que 90% des éditeurs (chiffre arbitrairement choisi pour signifier qu’ils n’ont pas accès à tout). Il arrive qu’on ait besoin d’un article publié dans une revue un peu confidentielle (ou qui n’existe plus) et on a alors toutes les difficultés à l’obtenir. Il existe un groupe sur Facebook où n’importe qui peut demander aux autres membres de leur filer tel ou tel article mais dans ce groupe non plus, on n’a pas forcément accès à tout. Research Gate est sérieusement un Gmoyen complémentaire et facile d’utilisation pour accéder à tout type de publication scientifique. C’est à mes yeux un des avantages les plus importants du réseau (parce que j’ai eu accès à une poignée d’articles impossibles à avoir alors que j’ai pourtant accès à des abonnements institutionnels et au fameux groupe Facebook). Dans la vraie vie, il existe un moyen ultime pour avoir une publication, c’est de demander directement à l’auteur principal (le « corresponding author » comme on dit) mais ça implique souvent de se présenter, de se justifier, de sortir l’arsenal adéquat de politesse (pas le même si on a affaire à un américain ou un allemand…) ce qui peut en rebuter certains au point de ne se lancer dans cette démarche que pour les articles « vitaux ». Sur Researchgate, c’est l’affaire d’un clic.

Communauté Researchgate riche et réactive : il y a donc beaucoup de monde et un système de questions/réponses (Q/A) un peu comme sur Ask.fm. On peut s’abonner à des sujets (topics) et aux questions qui y sont associées. Si on choisit un topic un peu généraliste, ça devient vite n’importe quoi et si au contraire on choisit un topic un peu confidentiel, c’est le désert. Mais de toute manière, on peut naviguer dans les topics et les Q/A auxquels on n’est pas abonné. Il y a une fonctionnalité qui présente à mes yeux un très fort potentiel mais je doute qu’elle soit utilisée : on peut discuter autour d’un article ! Je trouve que c’est une fonctionnalité qui manque dans le monde scientifique du moins dans la biologie : l’aspect Web 2.0 qui permet de pouvoir commenter/réagir/se renseigner à propos de tel ou tel point abordé dans une publication. Actuellement, les échanges ont surtout lieu lors des conférences et par email, il y a une limitation dans le temps (10 min de questions) et l’espace (il faut être à la conférence) ou au niveau du public (l’email, c’est du peer to peer…et on partage pas l’échange avec d’autres). Cette fonctionnalité est donc l’opportunité d’avoir des précisions et de les partager avec ceux que ça pourrait potentiellement intéresser dans le futur mais elle permet aussi de mettre en avant certains questionnements : j’imagine bien des échanges autour de l’article de Seralini (celui qui a fait bouffer du maïs roundup à des souris) avec des réponses de Seralini ou le reste du staff voire les éventuels collaborateurs. J’imagine aussi des tas de digressions sur telle ou telle hypothèse abordée dans tel article : avec des gens qui ne vont pas forcément aux conférences adéquates ou qui viennent soulever un point bien après la publication de l’article. Franchement, je suis persuadé que faire de la science sans interactivité sur le net, c’est se mettre une balle dans le pied (ou plutôt un boulet à la cheville). Il y a un hic cependant : normalement, quand une publication est acceptée dans une revue, les résultats et hypothèses abordées sont quasiment entérinées pour la postérité. Un système d’interactivité tel que celui que propose Researchgate est une atteinte à ce pantouflage institutionnalisé et je soupçonne que si elle n’est pas trop utilisée en ce moment, c’est à cause de ça : « tu ne me poses pas de question gênante, je ne t’en poserais pas non plus » mais je reste persuadé qu’un jour où l’autre, la barrière mentale sera franchie. Pour le bien de tous.

Gratuité : y a rien de directement payant ni d’option ou abonnement premium à la con comme Viadeo ou Linkedin.

Visibilité des thèses : Un doctorant produit des publications scientifiques mais plus souvent un gros manuscrit qui n’est normalement lu que par quelques initiés (collègues du labo de thèse et quelques collègues de collègues). RG permet de publier les thèses et les rendre accessibles pour tout un chacun. Avantage certains pour ceux qui ont publié en anglais.

Pour l’instant, je ne vois pas d’autres points forts (ou du moins qui ne tiennent pas du simple gadget). Voici les points noirs :

Notifications trop abondantes : il y a plein de types d’alertes email activées par défaut (pour nous fidéliser et nous faire venir plus souvent, faire du clic). Mais on peut les désactiver plus facilement que sur un compte Facebook (et c’est respectueux de ces choix).

Business model un peu foireux : Si j’ai bien compris, c’est basé sur la publicité avec des encarts ici et là et sur le service lié aux offres d’emploi. Les pubs, c’est has been qu’on le veuille ou non (grâce à Adblock, Trueblock et compagnie) et payer pour promouvoir une offre d’emploi, seuls les plus riches institutions peuvent le faire. Je ne sais pas si c’est très porteur et je me demande donc si les revenus de Researchgate ne proviennent pas essentiellement de cette fameuse publicité. Et comme je suis persuadé que ce n’est pas durable, je pense qu’ils monétiseront probablement leur site d’une autre manière à plus ou moins long terme.

C’est centralisé : C’est comme Facebook, si t’es pas content des conditions d’utilisation, tu pars. Etant donné que c’est un site allemand et que les allemands semblent marcher les mains dans la main avec le NSA d’après les développements post-Snowden, ça signifie que les messages privés sont potentiellement « espionnables ». Ce n’est donc peut-être pas le meilleur endroit pour aborder les recherches sur le nouveau projet de brevet de l’équipe. Ceci dit, je pense que ce genre de site est indispensable pour la communauté scientifique (et pour les amateurs de sciences) et s’il est amené à fonctionner aussi bien que je le pense, il fera des petits de type Diaspora*.

C’est élitiste : Je pense que le système n’est pas propice pour ceux qui n’ont pas de publication, c’est à dire pour les techniciens (qui sont pourtant tout aussi demandeurs de bibliographie), pour ceux qui font de la publication grise (même s’il y a moyen de transmettre sur RG les publications et jeux de données qui ne sont pas passés par un jury) et tout simplement pour les étudiants/passionnés autodidactes : Publish or perish, c’est la règle sur Researchgate. Personne n’ira répondre à mamie si elle décide de s’inscrire et de poser quelques questions ici et là.

C’est basé sur le facteur d’impact (Impact Factor pour les intimes) : Pour ceux qui ne connaissent pas le système, un scientifique publie ses résultats dans une revue à comité de lecture (qui valide ou pas si l’article est accepté pour publication). Dans un article, on cite nos sources (articles dans d’autres revues), chaque revue est notée en fonction du nombre de fois où ses articles sont cités. Chaque année, il y a la publication de cette notation : les facteurs d’impact par Thomson Reuters. Les biologistes du public sont notés (dans la vraie vie) en fonction du nombre de publications et de leur facteur d’impact. L’enjeu « quotidien » est d’avoir un résultat tellement inédit et d’une telle qualité qu’on puisse le publier dans une revue de renom. Researchgate a fait le choix de classer les membres de son réseau en fonction d’un nombre, le RG score, qui dépend beaucoup du facteur d’impact total des publications de chacun. Ca a de nombreux biais notamment parce que le facteur d’impact moyen d’un scientifique varie en fonction du domaine de prédilection : généralement les publications de médecine ont un facteur d’impact assez haut. Je sais qu’à l’INRA, il y a des coefficients différents en fonction des domaines d’application mais c’est un système interne à l’INRA. En plus de ça, j’ai cru lire qu’il y avait d’autres biais dans d’autres domaines : dans l’informatique, ce qui compte le plus apparemment ce sont les conférences et on ne publie généralement dans des revues que les résultats qui ne sont pas intéressants (j’ai lu ça là). Researchgate reproduit donc un biais majeur de l’évaluation du travail scientifique. Je me console en voyant qu’il y a d’autres critères mineurs qui peuvent changer la donne (participations aux Q/A, taille du réseau, liens avec co-auteurs, etc.) et surtout, ce site peut devenir un laboratoire dans le domaine en utilisant d’autres indices d’évaluation et d’autres opportunités de réseautage, d’autant plus facilement qu’il doit y avoir des chercheurs dans ce domaine qui participent au réseau ^^

Absence de blog : Contrairement aux autres réseaux sociaux de ma connaissance (Diaspora, Facebook, Twitter, Linkedin ou Viadeo), Researchgate ne propose pas de fil d’annonces personnalisées. Je ne sais pas si c’est un choix technique (ça doit bouffer des ressources sur le serveur) ou éditorial (parce que c’est aussi une source potentielle de spam). En tout cas, ça empêche de diffuser rapidement certaines informations et c’est d’autant plus dommage que ce genre de mur/blog permet est souvent l’occasion de se coordonner avec d’autres réseaux (Twitter pour ne parler que de lui). Je pense que je ne suis pas le seul à m’être posé la question et il faudrait que je fouille dans la zone Feedback pour voir ce qu’il en est.

En conclusion, j’ai trouvé dans ce site beaucoup d’éléments sympathiques qui ont déjà changé quelques trucs dans ma manière de fonctionner et je pense que les mauvais points de ce site ne sont pas rédhibitoires. Ce site a du potentiel et s’il capote, le concept du site est excellent. C’est parce que je le pense sincèrement que je me suis décidé à faire ce billet pour en faire la promotion. Je tiens à préciser que je n’ai rien reçu en échange d’un tel billet. J’invite les amateurs à y faire leur trou et à solliciter toutes les publications qui leur plaisent : la science n’est pas que l’affaire de professionnels, appropriez la vous.

Mise à jour du billet (25/10/2013) : Aujourd’hui, le vendredi 25 octobre de l’an de grâce 2013, j’apprends que Pubmed va lancer Pubmed Commons, un système qui va permettre de pouvoir commenter les articles scientifiques après leur publication. Le web 2.0 atteint enfin le domaine scientifique de manière plus sérieuse que ça ne l’était jusqu’à maintenant : parce que si Researchgate est effectivement  le réseau social scientifique le plus gros, Pubmed (avec Web of Knowledge de Thomson Reuters) est beaucoup plus sérieux au niveau de la base de données de publications. C’est à mes yeux un retournement de situation assez majeur. Reste à voir si ce système sera utilisé (comme je le dis dans le billet ci-dessous, si le système de commentaires de publications existe sur Researchgate, il n’est pas utilisé).

Cependant Researchgate a un avantage sur Pubmed : il est pluridisciplinaire alors que Pubmed est orienté Biologie. De plus, RG propose déjà un réseau d’interactions (avec les listes de followers, avec les questions/réponses) mais si ce n’est pas évident pour Pubmed, il y a déjà un embryon avec le profil My NCBI où on peut référencer ses propres publications. Pubmed a du retard mais il peut être relativement facile à rattraper : ils ont déjà fait le plus dur, accumuler 22 millions de publications (sans compter les données de Genbank et compagnie).

Reste une inconnue, Web of Knowledge avec son système ResearchID (profil de chercheur avec publications associées et compagnie) : ils sont encore plus puissants (et pluri-disciplinaires) que Pubmed au niveau de la base de données de publications scientifiques et plus avancés qu’eux en terme de profil individuels/création de réseau pro.

Je sens que ça va être la guerre dans les prochains mois et que Researchgate va se faire bouffer tout cru.